Soutenance de Carole Gayet-Viaud

Thèse préparée sous la direction d’Alain Cottereau et soutenue par Carole Gayet-Viaud le  31 mars 2008, à l’EHESS.

Titre de la thèse

« L’égard et la règle. Déboires et bonheurs de la civilité urbaine. »

Résumé

La thèse porte sur la politesse dans les rencontres furtives en ville, entre inconnus. Elle s’appuie sur une observation ethnographique des formes les plus ordinaires du côtoiement urbain (rues, transports en commun, queues de guichet et de commerce) menée à Paris pendant cinq années. Les analyses s’attachent à décrire les petites scènes auxquelles donnent lieu ces rencontres, et à mettre en lumière le travail normatif qui s’y trouve déployé.

Les échanges civils sont approchés comme un lieu d’élaboration et de mise à l’épreuve des principes élémentaires du vivre-ensemble, où les conduites constituent autant de manières de répondre, dans l’espace et le temps resserrés de la rencontre urbaine, aux questions qui fondent la cohabitation politique et définissent la « concitoyenneté ». Qu’est-ce que faire société ? Qu’est-ce que respecter autrui ? Que se doit-on les uns aux autres lorsque le lien qui nous unit est aussi « faible », distendu et finalement indécis, que celui de partager l’espace d’une ville ? Que peut-on se demander, que peut-on se reprocher, que doit-on taire, dans l’interaction avec cet autrui qui n’est que le quidam des villes, cet autre que l’on croise et que l’on ne reverra probablement jamais ?

L’enquête porte à l’attention, à partir de séquences ordinaires et d’apparence anecdotique, les difficultés mises au jour par la confrontation quotidienne et commune à des questions d’ordre à la fois politique et moral. Car la relation civile se joue au carrefour de ces deux sphères : prise dans les exigences de l’expression publique, sous-tendue et bornée par le droit, l’obligation de respect et l’idéal d’égalité, elle s’articule également au domaine moral, où se pose, en des termes différents, la question de la reconnaissance et du respect, où le problème des limites dans l’ouverture à autrui fait affleurer la problématique du don, et la nécessaire prise en compte des singularités. L’accueil réservé à autrui en public relève ainsi de la sphère sociable aussi bien que civique. La question du côtoiement (la définition de ce qui y est possible, acceptable, souhaitable, ou insupportable) déborde le simple enjeu de pacification d’un agrégat fortuit d’existences isolées. Faire avec autrui demande non seulement de s’accommoder de sa présence passagère, mais également de mettre en œuvre, dès ces espaces étroits de « l’interaction », une conception viable de ce en quoi peut consister bien faire avec lui, de ce qu’il est possible de partager, de ce qui mérite d’être disputé, et finalement, de ce qu’il est possible de faire ensemble.

Les analyses mettent en cause les visions binaires de l’exigence civile et de ses conditions de félicité , qui rangent trop prestement les conduites sous l’opposition entre présence et absence, conformation et transgression, d’après un inventaire de codes, qu’il suffirait de connaître et d’appliquer pour en être quitte. Si le regard s’attarde suffisamment, et prend au sérieux les troubles et les tensions inhérents aux rencontres, il y découvre au contraire, en lieu et place des pseudos évidences de l’application des règles, une variété de manières de composer, avec plus ou moins de succès, plus ou moins d’habileté, entre les exigences diverses – et parfois concurrentes – que la civilité met en jeu. La perspective de l’égard, où c’est indissociablement une intelligence des situations, un sens du rythme et un tact qui forment l’agilité requise pour manifester sa bienveillance envers autrui, s’avère indispensable pour compléter et (ré)éclairer positivement l’appréhension de l’échange civil, trop souvent confinée à la seule question du respect des règles (à plus forte raison lorsqu’il n’est pensé qu’à l’aune d’un objectif étroit de non-agression).

Mots-clés

politesse, civilité(s), incivilité(s), indifférence civile, égard, rite, code, règle, tact, galanterie, respect, don, droit, hospitalité, sociabilité, reconnaissance.