Soutenance de Judit Vari

Thèse préparée sous la direction de Monique de Saint Martin et soutenue par Judit Vari le 21 octobre 2008, à l’EHESS. Félicitations du jury.

Titre de la thèse

« Expériences éducatives dans les espaces périscolaires.
Contribution à une sociologie de l’Éducation nouvelle ».

Les membres du jury

  • Marc Bessin (CNRS-EHESS)
  • Philippe Cibois (Université de Saint-Quentin-en-Yvelines)
  • Jean-Louis Derouet (INRP)
  • Jean-Yves Rochex (Paris 8 - Saint-Denis)
  • Monique de Saint Martin (EHESS)
  • Régine Sirota (CNRS - Paris V)

Présentation/résumé (court) de la thèse (français)

Cette thèse, qui s’appuie sur une enquête de terrain par observations et entretiens, menée principalement à Gennevilliers, analyse comment les structures périscolaires (les centres de vacances et de loisirs et les structures d’accompagnement à la scolarité) mettant en œuvre les méthodes actives issues des pédagogies nouvelles, sont des espaces d’expérimentation à la démocratie telle que la concevait John Dewey, avec une expérimentation continue et quotidienne de la coopération. D’une part les méthodes actives permettent, aux jeunes animateurs de se construire en tant qu’adultes responsables, d’autre part, elles  offrent, la possibilité aux enfants et aux adolescents d’être considérés comme des acteurs sociaux et moraux à part entière. Ainsi, les pédagogies issues des mouvements de l’Éducation nouvelle ont contribué à modifier le rapport à l’enfance en favorisant une pédagogie reposant sur l’affection et la confiance, et ont trouvé dans les espaces périscolaires un terreau propice à leur développement. Néanmoins, elles peuvent parfois rencontrer des difficultés à se mettre en place, notamment lorsque les animateurs se retrouvent dans l’impossibilité de tisser des rapports de confiance avec de jeunes adolescents ayant des parcours de vie difficiles.

Présentation/résumé (court) de la thèse (anglais)

This study, based on ground inquiry through interviews and observations conducted mainly at Gennevilliers, shows how extracurricular spaces such as Summer or leisure camps as well as schooling-aid programs practising active methods from new pedagogical trends are an experimental field towards democracy following John Dewey’s concepts, understood like a continuous and daily experience of cooperation. These active methods allow young camp instructors to build themselves into responsible adults and at the same time offer children and teenagers the chance to be considered fully as social and moral actors.

So, pedagogical practices developed after Education Nouvelle movements have contributed to modify the view on childhood by favouring a pedagogy based on affect and trust. They have found in extracurricular spaces a proper ground for their development. Nevertheless, these practices sometimes meet some problems to be installed when instructors find themselves unable to establish their relationship on trust with life-wounded teenagers.

Mots-clés/Keys Words

Acteur - Animateurs - Care – Colonies de vacance - Confiance – Education nouvelle - Enfance - Espaces périscolaires - Expérience – Dewey – Morale.

Actor - Care – Childhood – Experience – Extracurricular spaces - Dewey –Instructors -  New Education - Moral - Trust – Summer camps.

Présentation/résumé (long) de la thèse

Les pédagogies issues des mouvements de l’Éducation nouvelle favorisent-elles le développement d’une véritable coopération entre l’enfant et l’adulte ? Telle est la problématique centrale de cette thèse qui analyse comment les structures périscolaires (les centres de vacances et de loisirs et les structures d’accompagnement à la scolarité) mettant en œuvre les méthodes actives issues des pédagogies nouvelles, sont des espaces d’expérimentation à la démocratie telle que la concevait John Dewey, soit comme une expérimentation continue et quotidienne de la coopération. Cette coopération peut s’analyser à partir d’une dialectique de l’enfance : l’enfant ne peut s’épanouir pleinement sans l’accompagnement bienveillant de l’adulte, qui lui-même ne peut complètement devenir adulte sans l’enfant. D’une part les méthodes actives permettent, aux jeunes animateurs de se construire en tant qu’adultes responsables ; d’autre part, elles offrent, la possibilité aux enfants et aux adolescents d’être considérés comme des acteurs sociaux et moraux à part entière.

Si la philosophie pragmatiste de Dewey a servi de point de départ au cadre théorique de la thèse, les analyses sociologiques développées dans la thèse se sont également largement appuyées sur les concepts empruntés à la sociologie dite pragmatiste (notamment les notions d’agapè, d’ « épreuve » et de « grandeur ») mais aussi à l’interactionnisme symbolique (notion de self) et à la sociologie du care. Le recours à l’histoire et à la psychologie a été par ailleurs indispensable pour permettre de circonscrire au mieux l’objet de recherche. En effet, si le pragmatisme est une philosophie du temps présent et de l’action, il appelle néanmoins à s’intéresser à la genèse des mouvements sociaux ou éducatifs. L’histoire du pragmatisme et l’histoire de l’Éducation nouvelle sont par exemple intimement liées, et trouvent une unité dans l’œuvre de Dewey, en particulier dans les notions d’expérience et d’expérimentation, et dans le rôle qu’il assigne à l’éducateur.

La thèse se divise en trois parties, la première partie est consacrée à la question de l’engagement et aux différentes formes qu’elle peut prendre, selon qu’elle s’incarne en la figure du chercheur, du militant ou de l’élu. L’engagement est toujours une expérimentation, une mise en pratique de ses principes ou de ses valeurs. Dans un premier temps sont analysés les « bricolages » du chercheur sur son terrain, les obstacles et les difficultés qu’il rencontre, notamment lorsqu’il travaille auprès des enfants et des animateurs. Le travail de terrain réalisé comprend à la fois une série d’observations prolongées dans différentes structures périscolaires (centres de loisirs et de vacances, et dispositifs d’accompagnement à la scolarité essentiellement) de la ville de Gennevilliers située en périphérie parisienne ; et des entretiens menés auprès des enfants et des animateurs. Les enquêtes qualitatives ont également été complétées par des analyses statistiques sur la fréquentation des différents types de structures étudiées, et qui ont permis de montrer que les espaces périscolaires apparaissaient comme un objet mineur des politiques publiques.  

Dans un deuxième temps, est retracée la genèse d’un des mouvements d’Education nouvelle, les plus actifs encore aujourd’hui, les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA), dont la création remonte à la période de l’entre-deux guerres, période particulièrement propice à la diffusion et l’expansion de nouvelles idées éducatives. Les pédagogies nouvelles se sont constituées en étroite relation avec la psychologie naissante. Les références constantes à la psychologie ont permis de donner des assises scientifiques aux pratiques et aux méthodes actives, et les différentes théories psychologiques de l’enfance ont trouvé dans les pédagogies nouvelles, un terrain d’expérimentation privilégié.

Cependant, les pédagogies nouvelles n’ont pas réussi à s’implanter de manière durable au sein du système scolaire français, et se sont essentiellement développées dans les espaces périscolaires, en particulier, dans les centres de vacances et de loisirs, plus souvent appelés aujourd’hui encore « colonies de vacances ». Et, ce sont dans les « banlieues rouges » que les colonies de vacances ont connu leurs plus grands succès. C’est le cas de la ville de Gennevilliers, devenue communiste aux municipales de 1936, la commune investit immédiatement dans les colonies de vacances. Les élus ont continué, par la suite, à développer une politique éducative très active et proche, sur de nombreux aspects, des pédagogies nouvelles et des pratiques des CEMÉA. Néanmoins, la municipalité de Gennevilliers, s’engage, au début des années 1980, dans les nouvelles politiques de la ville et en particulier dans la lutte contre l’échec scolaire, au détriment parfois des anciennes formes d’encadrement, et des colonies de vacances en particulier. Si la ville de Gennevilliers est apparue dans les années 1990, comme une « bonne élève » des politiques urbaines, elle a ce faisant développé une politique éducative de plus en plus élitiste, davantage axée sur les notions d’autonomie et de responsabilisation.

La deuxième partie de la thèse est consacrée aux espaces périscolaires considérés comme des espaces temporaires d’expérimentation. L’analyse détaillée de deux grands modèles de l’éducation, ceux d’Emile Durkheim et de John Dewey, a permis de faire ressortir les fondements idéologiques qui guident les pratiques pédagogiques des animateurs et l’importance du rapport au temps dans l’éducation. L’analyse s’est ensuite portée sur la question du processus de professionnalisation de l’animation qui souffre d’un déficit de reconnaissance, en particulier de la forme qu’Axel Honneth appelle « l’estime sociale » ; notamment parce que le métier d’animateur est devenu majoritairement féminin et investi par des jeunes adultes provenant des milieux populaires ; les animateurs attachent d’ailleurs une très grande importance à être reconnus par les enfants ou les adolescents qu’ils encadrent. C’est cette forme de reconnaissance d’ordre affectif, qui se manifeste essentiellement par des gestes, des attitudes et des paroles d’affection, que les animateurs mettent en avant et à partir de laquelle ils construisent leur identité d’animateur. « L’amour des enfants » est souvent le moteur de leur motivation et peut pleinement se déployer dans les centres de vacances et de loisirs ; c’est principalement pour cette raison que ces espaces apparaissent comme les plus riches en termes d’expérimentation.

La troisième partie enfin est consacrée aux discontinuités et aux ruptures qui interviennent dans les expériences des enfants et des animateurs. Les dispositifs d’accompagnement à la scolarité apparaissent en comparaison des centres de vacances et de loisirs comme des espaces où les expérimentations relationnelles et pédagogiques restent limitées. La dimension scolaire prend souvent plus d’importance que les activités culturelles, et tend à une « scolarisation » des pratiques pédagogiques des animateurs qui accentue la distance entre les animateurs et les enfants. Il peut, par ailleurs, être très difficile dans certaines situations que des relations de confiance et de coopération puissent s’instaurer, même temporairement. Certains enfants ont des histoires de vie difficile, et leur refus de coopérer peut parfois se manifester de manière très violente. Les animateurs se sentent alors parfois menacés et ne perçoivent plus l’adolescent comme appartenant à une « commune humanité ». La répétition des conflits conduit les animateurs à se méfier des adolescents qu’ils encadrent, et s’ils attachent autant d’importance au travail d’équipe, c’est qu’il apparaît comme l’unique moyen de « faire corps » face à des groupes d’adolescents inquiétants. Lors des disputes avec les adolescents, les animateurs mettent à l’épreuve leur « grandeur » et sont ainsi conduits à expérimenter leur autorité ; car l’apprentissage de la démocratie ne peut s’accomplir sans conflit et requiert l’engagement réciproque des acteurs.