Soutenance de Margalida Mulet Pascual

Margalida MULET PASCUAL

a soutenu sa thèse de doctorat en sociologie,

Resolver, un art cubain de la débrouille. La gestion du quotidien des Vazquez, une famille transnationale dans la Cuba des années 2000

préparée sous la direction de Alain COTTEREAU (CEMS-IMM/EHESS-CNRS-PSL), le vendredi 25 novembre 2016, à partir de 14h, en salle Jean-Pierre Vernant (8e étage – Noyau B), 190-198 Avenue de France75013 Paris, devant un jury composé de :

  • Kali ARGYRIADIS, chargée de recherche à l'IRD,URMIS, Université Paris 7 Diderot,
  • Gilles BATAILLON, directeur d'études EHESS,
  • Jesús CONTRERAS, professeur à l'Université de Barcelone (pré-rapporteur),
  • Alain COTTEREAU, directeur d'études EHESS et directeur de thèse,
  • Niurka NUÑEZ, chercheuse à l’Instituto Cubano de Investigación Cultural Juan Marinero, La Havane (pré-rapporteur).

Résumé

 Le présent travail est une ethnographie du quotidien cubain durant les années 2000. L’investigation a été menée au sein des ménages d’une famille multi-sites, prise à la fois comme base d’observation de la société et comme objet d’enquête. L’ethnographie par immersion a été échelonnée sur sept années (2007-2013). La principale implantation des ménages est à La Havane, une autre est en milieu rural, à Monte, dans l’Est de l’île d’où est originaire la famille, une troisième est aux États-Unis, à Miami. Les membres des ménages voyagent ou migrent d’un site à l’autre.

L’enquête multi-sites par immersion a été complétée par l’exploitation d’archives inédites d’Oscar Lewis et de son équipe, archives écrites et orales d’une vaste enquête ethnographique collective sur la vie à Cuba durant la première décennie de révolution (1968-1970), dont les cartons ont été ré-ouverts pour la première fois à l’occasion de cette recherche. Le rapprochement permet d’accéder aux expériences vécues des Cubains dans leurs temps internes, et de les confronter à la mémoire de trois générations.

Examinées au ras des expériences quotidiennes, les difficultés rencontrées par les Cubains ont donné lieu à un art particulier de la débrouille, qui donne leur unité à toutes les descriptions : le « resolver », la « résolution » des problèmes. Depuis les débuts de la Révolution, les Cubains ont été condamnés à l’invention de solutions, à la résolution permanente hors légalité face aux impasses de la vie économique constamment produites par un système sans cohérence. Ce système résultait pour partie d’un volontarisme utopique, pour partie d’un pragmatisme du pouvoir pour resolver à son tour les difficultés qu’il subissait ou suscitait. La créativité des gouvernés a été poussée si loin qu’elle a redessiné de fond en comble le système économique et social de l’île. Loin de l’idée d’une économie parallèle, l’ethnographie du resolver retrace un tissu social dont, pour ainsi dire, le gouvernement a fourni la chaîne autoritaire, et le peuple cubain, la trame improvisée.

L’ethnographie est entrée dans les détails de l’art de joindre les deux bouts en recourant aux méthodes de l’ethnocomptabilité : compter et calculer comme les gens comptent, scruter les budgets de ménages et d’entreprises le plus souvent illégales, établir les rentabilités réelles de la débrouille économique. Il en résulte une sorte de phénoménologie du quotidien : se nourrir, se soigner, travailler, peser chaque élément de ressource et de dépense, prêter attention à la moindre activité, établir un suivi ethnographique de toutes sortes de parcours des biens et des personnes. La méthode accède à un niveau de détail inhabituel en procédant à des inventaires exhaustifs. Ces inventaires ethnographiques ont été particulièrement développés sur le ravitaillement et l’alimentation, révélant une sous-nutrition masquée par les données officielles, sur la polyactivité des citoyens combinant entreprises publiques et (ou) activités illégales, sur le coût de la santé dans les budgets familiaux et sur la solidarité transnationale entre les différents ménages, de l’île à Miami.

En décrivant des situations surréalistes, l’enquête a relevé en même temps les manières multiples d’en rendre compte. Suivant une expression particulièrement significative d’un entrepreneur ethnographié, « le gouvernement joue à nous payer, nous jouons à travailler ». Le but de cette enquête n’a pas été de figer les significations instables relevées dans unesignification définitive, mais au contraire de faire ressortir les processus qui les agitent. Partie prenante de cette agitation, l’idiosyncrasie cubaine, restituée dans le théâtre de ses opérations, devient descriptible et traduisible.

Resumen

El presente trabajo consiste en una etnografía del cotidiano cubano realizada a lo largo de siete años (2007-2013). La investigación se ha desarrollado en diferentes hogares de una familia multi-situada (multi-site), la cual ha servido a la vez como base de observación de la sociedad y como objeto de investigación. El hogar principal se encuentra La Habana, otro en Monte, un pueblo rural en el oriente de la isla, de donde procede la familia y un tercero en Miami, Estados Unidos. La familia se moviliza constantemente entre los tres hogares, ya sea por viaje o por migración.

La investigación multi-situada por inmersión ha sido completada con la consulta de archivos inéditos de Oscar Lewis y de su equipo. Archivos, escritos y orales, procedentes de una vasta investigación colectiva sobre la vida en Cuba durante la primera década de la Revolución (1968-1970) y cuyas cajas han sido re-abiertas por primera vez para esta investigación. Su exploración permite acceder a las experiencias vividas por los cubanos de la época y de confrontarlos a la memoria de tres generaciones de la Cuba contemporánea.

Examinadas a partir de las experiencias cotidianas, las dificultades con las que se topan los cubanos han dado lugar al “resolver”, un arte particular del apaño que conforma la unidad de todas las descripciones. Desde el inicio de la Revolución los cubanos han estado condenados a la resolución permanente en su mayoría fuera de la legalidad, frente a los constantes imprevistos de la vida económica producidos por un sistema poco coherente.

Este sistema por un lado ha sido el resultado de un voluntarismo utópico, y por otro lado de un pragmatismo del propio poder por resolver a su vez las dificultades que suscita. La creatividad de los gobernados ha ido muy lejos, hasta rediseñar el sistema económico y social de la isla desde sus cimientos. Lejos de la idea de una economía paralela, la etnografía del resolver traza un tejido social en el que, por decirlo de alguna manera, el gobierno ha proporcionado el hilo autoritario, y el pueblo cubano, la trama improvisada.

La etnografía se adentra en los detalles del arte de llegar a fin de mes recurriendo a los métodos de la etnocontabilidad: describir y calcular como las personas cuentan, escrutan los presupuestos de sus hogares y de empresas, en su mayoría ilegales, y como establecen las rentabilidades reales de los desvíos y arreglos económicos. El resultado es un tipo de fenomenología de lo cotidiano: alimentarse, curarse, trabajar, pesar cada recurso y cada gasto, prestar atención a la más mínima actividad y establecer un seguimiento etnográfico de los recorridos de los bienes y de las personas. El método muestra un nivel de detalle inusual a partir de inventarios exhaustivos, estos han sido particularmente extensos en relación al abastecimiento y a la alimentación, revelando una subnutrición oculta en los datos oficiales. También se describe detalladamente la poliactividad de los ciudadanos combinando el trabajo en empresas públicas con otras actividades legales y/o ilegales, el coste de la salud en los presupuestos familiares y la solidaridad transnacional entre los diferentes hogares, desde la isla hasta Miami.

Describiendo situaciones que rozan el surrealismo, la investigación revela múltiples maneras de ilustrar el cotidiano como explica la expresión particularmente significativa de un empresario etnografiado, “el gobierno juega a pagarnos y nosotros jugamos a trabajar”. El objetivo de esta investigación no ha consistido en fijar la inestabilidad de las significaciones reveladas dentro de un marco definitivo sino, al contrario, de resaltar los procesos que las agitan. Como parte inherente de esta agitación, la idiosincrasia cubana, restituida en el teatro de sus operaciones, pasa a ser descriptible y traducible.

Abstract

This study is an ethnography of the Cuban quotidian conducted over seven years (2007-2013). Different homes of a multi-sited family have served as a basis for the study of society and as an object of the research itself. The main home is in Havana, the second one is in Monte, a rural village from where the family comes from originally in the east of the island, and a third one in Miami, United States. The family is constantly moving between the three homes, either to visit or to migrate.

The consultation of the written and oral archives of Oscar Lewis and associates completed the multi-sited immersion research. Those archives boxes, which have been re-opened for the very first time for this study, contain the files of an extensive collective research on life in Cuba during the first decade of the Revolution (1968-1970). Scanning Lewis records allows the comparison of the experiences of the Cubans from that period to the memory of three generations of the contemporary Cuba.

The difficulties the Cubans deal with on a daily basis have led to the particular art of fixing/managing things or situations called resolver (to solve) which is the center of each and every description of quotidian experiences. Since the Revolution Cuban people have been doomed with permanent “resolver,” taking place mostly outside or below the law, to face an insufficiently coherent system that produces constant economic impasses.

On the one hand, this system is the result of the utopian voluntarism, on the other, it is the outcome of the State’s pragmatism to solve (resolver) the obstacles caused by itself. The creativity of the governed has gone far enough to redesign from its foundations the island economic and social system. The ethnography of Resolver draws a social fabric in which the government provides the authoritarian thread and the Cuban people the improvised pattern, far from the idea of a parallel economy.

Ethnography delves into the details of the art of making ends meet using the ethno-accounting approach. This is describing and calculating how people count, scrutinize their home and business budgets, the latter mostly illegal, and how do they estimate the real return of their diverted and fixed economic enterprises. The result is a kind of phenomenology of everyday life: how to feed and heal themselves, to work, to weight every resource and every outlay, considering the slightest activity and setting up an ethnographic monitoring of goods and members of the family.

This approach provides an unusual level of detail through comprehensive inventories, particularly extensive for supply and food, revealing a degree of undernourishment not disclosed by the official data. It also describes in detail the citizens’ pluriactivity which combines working in public companies with other legal or illegal occupations. It also illustrates the impact of health expenditure on family budgets and the transnational solidarity between homes, from the island to Miami.

The research reveals multiple ways to explain the quotidian, describing situations that verge on the surreal. One of the entrepreneurs depicted in the ethnography says a significative phrase: the government pretends to pay us and we pretend to work.

The main aim of this research has not been to determine the instability of the revealed meanings within an established framework but, on the contrary, to highlight the processes that agitate them. Cuban idiosyncrasy inherent in this turmoil, and restored in the theater of operations, becomes describable and translatable.