Soutenance de Marie Le Clainche Piel

Marie Le Clainche-Piel

a soutenu sa thèse intitulée

« Ce que charrie la chair. Approche sociologique de l'émergence des greffes du visage. »

et préparée sous la co-direction de Nicolas Dodier et Catherine Rémy,

Le lundi 28 mai 2018 à 9 h 30 en salle 8, à l’EHESS, 105 boulevard Raspail 75006 Paris

Devant un jury composé de :

♦ M. Nicolas Dodier (Directeur de thèse), EHESS

♦ Mme Catherine Rémy (Co-directrice), CNRS

♦ Mme Laurence Kaufmann, Université de Lausanne (Suisse)

♦ Mme Anne-Marie Mol, Université d’Amsterdam (Pays-Bas)

♦ Mme Anne Revillard, IEP Paris

♦ M. Philippe Steiner, Université Paris Sorbonne

Résumé

Comment le visage est-il devenu un organe, objet de don et de transplantation ? En partant de ce questionnement, cette thèse investit le milieu de celles et ceux qui ont porté et débattu des projets de transplantation faciale au cours des années 2000 et 2010 en France et au Royaume-Uni. Elle éclaire les conditions sociales selon lesquelles la transplantation faciale a été rendue acceptable, pour les patients opérés et les équipes chirurgicales, les coordinateurs du don d’organes et les proches des donneurs défunts qui permettent le prélèvement. L’enquête a impliqué un investissement approfondi de l’ensemble de la chaîne de la transplantation, reposant sur la collecte d’archives (scientifiques, institutionnelles, médiatiques), sur la réalisation d’entretiens (avec les chirurgiens, les patients, les acteurs du don d’organes et de la régulation médicale, les membres d’associations de personnes défigurées), ainsi que sur une ethnographie des services hospitaliers qui réalisent ces opérations (du bloc jusqu’aux réunions de service). En suivant au plus près ces acteurs, l’enquête éclaire les tensions que l’expérimentation révèle sur son passage. Cette recherche aborde la greffe comme un objet qui articule des questionnements au croisement des institutions, des mouvements associatifs et des expériences du don. La greffe du visage bouscule, tout d’abord, les prétentions des chirurgiens à s’autoréguler. La confrontation des équipes chirurgicales aux institutions sanitaires et éthiques, qui évaluent l’opportunité de cette expérimentation, révèle des rapports distincts à l’objectivité médicale et à l’encadrement des pratiques hospitalières. L’émergence de la greffe du visage travaille, ensuite, les collectifs de personnes défigurées qui oscillent entre soutien au progrès médical et dénonciation de la chirurgie comme oppression. Les réactions des associations françaises et anglaises sont révélatrices de conceptions distinctes de la défiguration, et contribuent à façonner la trajectoire de la greffe du visage. La greffe du visage interroge, enfin, les conditions sociales de disponibilité des corps des défunts et les tensions à l’œuvre dans la réception d’un don anonyme d’organes. Les patients greffés au visage sont soumis à une double contrainte qui peut être vécue comme contradictoire : d’un côté, celle de remercier le donneur, de l’autre, celle de l’oublier pour accepter la greffe. La thèse révèle ainsi l’assemblage hétérogène, mais néanmoins cohérent, de ces niveaux d’analyse, qui est en jeu dans chaque déplacement d’une partie de corps d’une personne à une autre. Elle éclaire, en d’autres termes, ce que charrie la chair.