Soutenance de thèse d'Antonin Thyrard

Antonin Thyrard a soutenu sa thèse intitulée

La politique de “l’ami critique”. Les évaluateurs et leur professionnalisation dans la construction d’une Europe de la Cohésion (1957-2021),

et préparée sous la direction de Eve CHiapello, le 11 décembre 2023, à l’EHESS, devant un jury composé de :

  • Ève Chiapello, Directrice d’études, EHESS (directrice de thèse)
  • Thomas Delahais, Consultant associé, Quadrant Conseil (invité)
  • Ulrike Lepont, Chargée de recherche CNRS, Sciences Po Paris
  • Frédéric Mérand, Professeur, Université de Montréal (rapporteur)
  • Cécile Robert, Professeure, SciencesPo Lyon (rapportrice)
  • Vincent Spenlehauer, Professeur, École des Ponts ParisTech
  • Antoine Vauchez, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-1

Résumé de la thèse

« À la croisée de la sociologie politique, de la sociologie des professions et de la sociologie de l’expertise, cette thèse étudie le rôle de l’évaluation dans la construction d’un investissement public européen, plus particulièrement dans la Politique européenne de Cohésion. Depuis les années 1970, plusieurs entreprises savantes, articulant instruments analytiques et discours normatifs, se sont développées sous le label « d’évaluation » pour planifier et rendre compte des investissements réalisés au nom de l’Union. Nous proposons de saisir les pratiques évaluatives pour l’ambiguïté de leur position : organisées dans les marges de l’administration et sous sa direction, elles visent pourtant à en faire la critique et à questionner ses résultats. Déroulant cette perspective, la thèse expose comment l’évaluation est devenue indissociable de la conduite de la Politique de Cohésion : elle y a pris les traits d’une critique sous contrôle, façonnée dans un espace interstitiel entre administration, universités et cabinets de conseil. Plus généralement, ce cas européen nous permet de mettre en lumière une dynamique de « cooptation de la critique » centrale dans le développement de l’évaluation. En enrôlant des évaluateurs pour organiser sa propre critique, l’administration ne parvient pas à dissiper les doutes sur ses résultats et ses échecs : elle provoque au contraire un accroissement régulier des pratiques et acteurs de l’évaluation, qui se proposent de combler les limites toujours repoussées de l’incertitude. Nous retraçons les configurations successives qui ont vu trois « courants » s’articuler autour de l’enjeu de l’évaluation, véritable « objet-frontière » du dialogue critique sur l’investissement européen : un courant « planificateur», qui milite dès les années 1960 pour une Europe de l’investissement régional collectif contre les faiblesses des États ; un courant « économe », mobilisé par la modulation de ces dépenses européennes et leur justification en termes de « coûts-bénéfices » ; un courant « vocationnel », qui chercher à établir le profil de l’évaluateur indépendant comme un intermédiaire critique des politiques publiques sur un modèle nord-américain. L’étude des interactions entre ces courants sur la longue durée nous permet de relire l’intégration européenne à la lumière des entreprises et des acteurs qui ont cherché à dire « ce qu’elle vaut », tout en nous permettant de cartographier l’un des marchés experts les plus dynamiques autour des politiques communautaires. Dans cette thèse, nous mobilisons des archives institutionnelles et des archives privées des années 1950 à nos jours. Nous nous appuyons également sur des entretiens (n=115) avec des « demandeurs » d’évaluation (euro-fonctionnaires, fonctionnaires nationaux, élus) et des « offreurs » (consultants, universitaires). Des observations dans plusieurs conférences organisées par la Commission européenne sur les thématiques de l'évaluation (à Bruxelles, Bucarest, Porto, Paris) complètent l’ensemble. Nous avons enfin construit et exploité des bases de données sur les cabinets de conseil et structures qui réalisent des évaluations, nous permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse de réseau inédite de ce marché de 1990 à nos jours. »