Soutenance de thèse de Léa Macias

Léa Macias a soutenu sa thèse de doctorat intitulée :

Une anthropologie de l'humanitaire numérique dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie

et préparée sous la direction de Michel Agier (Directeur d'études, EHESS), le 30 juin 2023, à l'EHESS, devant un jury composé de :

  • Michel Agier, Directeur d’études, EHESS (directeur de thèse)
  • Myriam Catusse, Directrice de recherche, CNRS (rapporteure)
  • Dana Diminescu, Maître de conférence en sociologie, Télécom Paris (examinatrice)
  • Kamel Doraï, Chargé de recherche, CNRS (examinateur)
  • Joël Glasman, Professeur d’histoire, Université de Bayreuth (rapporteur)
  • Alessandro Monsutti, Professeur d’anthropologie et de sociologie, Geneva Graduate Institute (examinateur)

Résumé de la thèse

Cette thèse porte sur les pratiques et les effets de la mise en données du camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie. Après 19 mois d’observation participante en tant que chargée d’évaluation pour une organisation humanitaire dans ce camp, plusieurs terrains ethnographiques y ont été menés afin de saisir les enjeux liés à la collecte de la “donnée” dans la gestion et le développement du camp de Zaatari. Cette thèse est le fruit de plusieurs années de terrain qui ont pour but de rendre compte des pratiques et effets de la numérisation du dispositif humanitaire, compris comme l’ensemble des projets et opérations menés dans le camp par une multitude d’acteurs que sont les organisations internationales, les organisations non gouvernementales tant internationales que locales, à l’échelle d’un espace fermé, celui du camp de réfugiés. La question centrale à laquelle elle cherche à répondre est: quels sont les effets induits de la numérisation de l’humanitaire sur la gestion du camp de réfugiés, comme espace de gouvernance et d’interactions entre acteurs de l’aide et ses récipiendaires ? 

Trois champs du « gouvernement humanitaire » sont observés. Le premier porte sur la nature des données produites, par quels acteurs et comment ? Le deuxième porte sur l’usage de ces données. Comment ces données sont-elles mobilisées dans le camp et quels effets cela a-t-il sur le travail humanitaire, l’espace du camp et leurs interactions avec les réfugiés ? Le troisième questionne le camp comme espace au mandat de protection qui devient un espace contrôlé, d’expérimentation et de potentielle mise en danger numérique des réfugiés : quelle est la protection numérique des réfugiés dans le camp ? La réponse se déclinera en trois parties. La première sera consacrée à une description des différents types de données collectées dans le camp : données biométriques, données d’évaluation des besoins et enfin données de suivi et évaluation. Dans cette première partie de la thèse je m’attache à produire une ethnographie de ces collectes qui ont lieu dans le camp de réfugiés et questionne la place de la collecte de données dans le camp comme un véritable mode de communication entre les humanitaires et les réfugiés. La deuxième partie poursuit sur les effets que ces données humanitaires ont sur le camp, les opérations humanitaires qui y sont menées et bien sûr les réfugiés qui y habitent. Cette deuxième partie vient détailler les outils mobilisés pour la collecte de données humanitaires et la conséquence sur le camp : une gestion à distance de cet espace humanitaire fermé. Le rôle de ces outils dans la gestion de l’espace et des réfugiés qui résident dans le camp sera questionné dans les pratiques numériques quotidiennes des humanitaires et des réfugiés. Enfin la dernière partie interroge le paradoxe suivant : le camp de réfugiés est sous le mandat de protection du HCR, or la mise en données des réfugiés par les pratiques de collecte et d’usages des données décrites dans la première et la deuxième partie de cette thèse en font un espace d’expérimentations de nouvelles technologies parfois sans en connaître les dangers et les risques sur des personnes n’ayant d’autre choix que de se conformer aux processus d’assistance humanitaire qui leur sont proposés. 

En conclusion cette thèse permet de démontrer que la mise en données crée un mode de gouvernance du camp, à distance, tout en plaçant les travailleurs humanitaires locaux et les réfugiés dans une situation de surveillance et de potentielle mise en danger numérique. Cette recherche porte sur la complexité de cette mise à distance paradoxale du terrain par le biais de la mobilisation de technologies de l’information et de communication. En analysant des discours et des pratiques des réfugiés et des humanitaires dans un espace fermé particulier mais aussi en observant les circulations des personnes, des discours et des innovations peut-on saisir les effets globaux de la numérisation de l’humanitaire au 21ème siècle ?

Mots-clés : Humanitaire, camp de réfugiés, données, numérique, expérimentation.