Soutenance de thèse de Martin Chevallier

Martin Chevalier a soutenu sa thèse intitulée,

Accompagner les robots d’accompagnement : une approche sociologique des robots “sociaux”,

et préparée sous la direction de Claude Rosental (directeur de recherche au CNRS), le 12 octobre 2023, à l’EHESS, devant un jury composé de :

  • Sara Aguiton, chargée de recherche au CNRS
  • Nicolas Dodier, directeur d'études à l'EHESS & directeur de recherche à l'INSERM
  • Laurence Kaufmann, professeure ordinaire à l’Université de Lausanne, rapporteure
  • Christian Licoppe, professeur à Télécom Paris, rapporteur
  • Claude Rosental, directeur de recherche au CNRS, directeur de thèse
  • Denis Vidal, directeur de recherche à l’IRD

Résumé de le thèse

À partir d’une double démarche socio-historique et ethnographique ancrée dans les Science and Technology Studies (STS), ce travail examine conjointement les différentes formes d’accompagnement dont les chercheurs et entrepreneurs en robotique dite « sociale » entendent faire bénéficier des publics spécifiques ou aussi larges que possible, et celles que requièrent les robots sociaux pour entrer en rapport avec ces publics, dans le contexte français.

La généalogie des « robots d’accompagnement », qui ouvre cette thèse, réinscrit la robotique sociale dans la lignée de projets de robots d’assistance destinés aux personnes handicapées, et rend compte d’une évolution progressive du coeur de cible de l’accompagnement robotique dans les années 1990 et 2000 (gériatrisation), de la conception du rapport établi entre le robot et son public cible, tout comme des critères d’évaluation de ce rapport (acceptabilisation). Elle est aussi une première occasion de souligner un rôle transversal d’une catégorie de thérapeutes dans l’« accompagnement interactionnel » d’un public en situation de handicap, qui préparent, facilitent et encadrent leur mise en rapport avec le robot. Elle offre enfin une vue d’ensemble du soutien politique et financier apporté, au niveau le plus local comme à l’échelle européenne, aux projets de recherche et d’implémentation de robots sociaux, et aux formes de « démo-cratisation » et d’expertise qui s’efforcent de rendre tangible et désirable, depuis une vingtaine d’années, la banalisation d’un accompagnement quotidien par les robots.

Chacune des enquêtes ethnographiques réalisées s’intéresse à une variante d’accompagnement ponctuel ou répété par les robots sociaux, tour à tour en milieu ouvert (espace commercial), semi-ouvert (espace ouvert au sein d’un EHPAD) et fermé (unité de vie protégée en EHPAD). Chacune d’entre elles exemplifie la somme d’accompagnements nécessaires, en amont et en périphérie des mises en rapport entre le robot et son public, pour financer le dispositif, l’intégrer à un espace de vie ou de travail, en assurer la maintenance, en évaluer les bénéfices d’ordre thérapeutique ou marchand, ou encore mobiliser un réseau d’accompagnateurs interactionnels autour du robot – y compris le rôle dévolu, en matière d’accompagnement organisationnel, à l’observateur non-participant ou non-participant dont j’ai endossé la posture, par choix initial ou pour des raisons pragmatiques.

Dans chacun des cas examinés, je souligne à quel point ces opérations étaient nécessaires, tout en étant insuffisantes pour que le robot et son public cible entrent en rapport sur un mode interactif, tel qu’envisagé par les concepteurs du robot. En m’appuyant sur les données issues d’enregistrements vidéos et d’entretiens avec les utilisateurs de ces robots, je décris ainsi les conditions socio-matérielles de production d’une réelle (reconnaissable comme telle) « interactivité », « socialité » ou « agentivité » du robot, et aux enjeux de pouvoir et de reconnaissance qui traversent l’accompagnement final du robot par des hôtes ou des soignants. Leur rôle, aussi critique soit-il pour qu’une interaction humain-robot advienne, était d’un côté en grande partie assigné voire contraint par les accompagnateurs institutionnels et organisationnels du robot, et largement invisible à leurs yeux, de l’autre. Cependant, il les investissait d’une capacité à déstabiliser le « script » d’un accompagnement par le robot, en transigeant avec les prescriptions d’usage qui leur ont été adressées, en devenant utilisateurs à part entière du robot de façon à éveiller et maintenir l’intérêt du public cible pour le robot, ou à l’inverse, en destituant le robot comme digne accompagnateur et en servant de sa présence comme d’un prétexte pour mieux accompagner par eux-mêmes.